
Les Artistes s’engagent auprès des Arméniens d’Arménie et du Haut-Karabagh (Artsakh)
Mercredi 28 juin
Salle Gaveau à Paris,
Soirée de soutien aux 120 000 Arméniens du Haut-Karabagh sous blocus total depuis 200 jours
Une vingtaine d’artistes ainsi que des personnalités de la scène littéraire et médiatique
aux côtés de l’Ambassade d’Arménie en France et de la Représentation du Haut-Karabagh
Les comédiens Ariane Ascaride, Pascal Légitimus, Valérie Karsenti, Ludovic Berthillot, Gwendolyn Gourvenec, Romain Rondeau, Anne Le Ny, Camille Claris, Maya Sansa, Alix Benezech, Mélanie Bernier, mais aussi les musiciens Madame-Monsieur, Nach, Astrig Siranossian et les grands témoins Sylvain Tesson, Jean-Christophe Buisson, Olivier Weber et Pascal Bruckner ont alerté sur ce drame humanitaire majeur dans le Haut-Karabagh, invitant l’opinion publique à se mobiliser.
Dans une scénographie épurée, comédiennes et comédiens se sont relayés pour lire des lettres écrites par les habitants du Haut-Karabagh coupés du reste du monde sous ce blocus énergétique, alimentaire et médical imposé par l'Azerbaïdjan. Ces témoignages ont reflété l’urgence de la situation, mais aussi le courage, la dignité et la résilience d’un peuple menacé d’épuration ethnique par une dictature classée parmi les plus répressives de la planète.
Chorèj – 23 ans - comédienne
J’ai découvert à 16 ans, en 2016, que tout ce que j’aimais dans la vie était temporaire et ne m’appartenait pas entièrement. C’est à 16 ans que j’ai vécu ma première guerre et j’ai compris qu’elle ne cesserait pas. J’ai compris que je devrais payer le prix pour mener ma vie de femme dans mon pays si spécial. Le prix, ce sont mes rêves, mes objectifs, mon insouciance. Quand une nouvelle guerre a commencé en 2020, quand mon frère mobilisé tentait de rassurer Maman, lui expliquait en riant que les jeunes conscrits épluchaient seulement des pommes de terre alors que les tirs d’artillerie recouvraient sa voix, quand j’ai découvert dans la liste des soldats morts la photo de mon prof de danse, quand j’ai cherché de l’aide psychologique d’urgence pour aider une copine folle de douleur d’avoir perdu son frère, alors j’ai grandi. Ce Noël 2022, à cause du blocus, notre grande famille était incomplète. Mon frère étudiant et moi-même étions coincés à Erevan, le reste de la famille, de l’autre côté de l’écran, à Stepanakert. Le réseau, comme d’habitude, était épouvantable. Même avec ces images pixelisées, nous pouvions voir Maman parlant trop fort sous le coup de l’émotion, Papa tombant de sommeil. Ma tante avait mis une tenue de fête et réussi à préparer, malgré la pénurie de nourriture, trois plats différents. Mon oncle terminait l’année avec des projets de réforme pour le pays, tandis que mon grand-père, très malade pourtant, plaisantait à la manière artsakhiote de sa belle rhétorique. Ma grand-mère a essayé d’arracher le téléphone pour voir mon frère, facile de deviner quel est son petit-enfant préféré.
Le blocus a ses avantages. Aujourd’hui, je me rends compte qu’il n’y a pas fruit plus délicieux qu’une banane ramollie et à moitié pourrie. Oui, je suis rentrée à la maison, et je vous écris de ma chambre que j’aime tant. Ma soeur proteste, car je monopolise sa lampe de chevet. Bientôt, l’électricité sera coupée. Au lieu de faire ses devoirs, elle sera obligée de se mettre au lit. Aujourd’hui, alors que je suis rentrée volontairement dans une cage, je me sens à ma place. La joie d’être chez moi est si grande que j’en ai perdu toute envie de chocolat, de dégoter la dernière paire de chaussures à la mode. Porter une ancienne paire n’est pas une tragédie. J’ai découvert que des mouchoirs en papier valent de l’or comme tout objet jetable qui, dans des conditions de pénurie, peut être utilisés une multitude de fois. Ma plus grande terreur, manquer d’eau chaude, me semble surmontable aussi. Avoir un sceau d’eau à la maison et une bouilloire électrique sauve la situation. Quel incompréhensible miracle de ne plus être en retard au boulot !
Je m’appelle Dzovinar, j’ai 41 ans. Je suis née à Stepanakert. J’ai passé mon enfance dans les soussols.
Mes souvenirs d’enfance, même les bons, sont en effet liés à la guerre. Le gout particulier des
bonbons, nos jeux dans les bâtiments détruits par les bombardements, les pulls de laine épaisse
que nos mères tricotaient pour les soldats, les spectacles que nous préparions, nous les enfants,
pour nos pères qui rentraient de temps en temps, et l’odeur de la cigarette qui signifiait que le
mien était revenu. J’étais déjà « grande » avant d’avoir grandi.
Je suis mariée avec un rescapé des massacres de Bakou, Gary. Il est militaire et sert dans les forces
armées de défense. Ce mot de « défense » est important, car notre armée a toujours défendu et
défend toujours la paix si fragile héritée de nos pères. Presque toutes les femmes de mon pays ont
accepté d’envoyer leurs maris, leurs fils, leurs pères, pour protéger notre terre.
Je présente le journal télévisé et réalise des reportages pour la chaine de télévision publique d’Artsakh.

Il a tenu sa promesse. Depuis, je porte du rouge à lèvres de la couleur des pavots. Quant à nos enfants, ils ont appris à leur tour que l’odeur de la cigarette signifiait le retour de leur père. Lorsque la guerre de 2020 a éclaté, Gary se trouvait en poste. Moi, j’étais à la maison. Des explosions qui faisaient trembler la terre paisible m’ont réveillée, et j’ai vu leur fumée envahir le ciel ensoleillé. Après avoir mis mes enfants en sécurité au sous-sol, je suis immédiatement allée à la chaîne de télévision. Je ne les ai revus que quelques jours plus tard. Ils n’ont pas posé de question, se sont contentés de la promesse que papa et maman reviendraient. Pendant chacun des quarante-quatre jours de la guerre, avec mon rouge à lèvres rouge, j’ai dû lire
en direct les listes noires des victimes. À chaque fois, je poussais un soupir de soulagement en n’y trouvant pas le nom de mon mari. Mais aussitôt après, je pleurais de honte d’avoir ressenti un instant de la joie, alors qu’il y avait des centaines de noms de maris, fils, frères sur ces listes.
Avec le même rouge à lèvres rouge, je faisais aussi des reportages depuis la ligne de front. Ma couleur préférée n'était plus celle de l’espoir, mais de la douleur. Mon mari et moi avons tous les deux survécu à la guerre. Cependant, nous n’en sommes pas vraiment revenus.
Lorsque la route de la vie a été fermée, ma première pensée a été pour ma fille aînée Alina,étudiante à l’université d’Erevan. Dieu merci, elle était de l’autre côté. Elle aura vingt ans le 29 juin. Je rêve de la serrer dans mes bras au moins une fois, de sentir son odeur, de caresser ses cheveux
soyeux, et qu'elle rentre à la maison. Et j'ai encore honte. La guerre a aussi privé des centaines de mères de ce rêve pour toujours.
J'ai surmonté beaucoup de peurs, je me suis même préparée psychologiquement à la perte la plus lourde. Mais aucune mère n'est jamais préparée à perdre son enfant, à ne pas lui trouver de nourriture, à ne pas pouvoir réchauffer ses mains gelées ou à ne pas trouver de médicament pour
faire baisser sa fièvre... Aucune mère. Malgré tout ce qui nous arrive, je vis dans un pays où même encore aujourd’hui les gens parviennent à sourire. Quand nous avons de la lumière pour quelques heures, nous sommes heureux. En attendant que l’électricité revienne, nous avons réussi à trouver une poignée de chocolats pour les enfants. Nous sommes contents... L'hormone du bonheur, aussi surprenant soitil, est probablement la plus produite dans mon Artsakh. Aujourd'hui, pour la première fois depuis des semaines, il y a de la lessive au supermarché de notre rue.
azerbaïdjanais ont ouvert le feu sur un agriculteur travaillant dans son champ. Cette dernière nouvelle sera la seule bonne de la journée : il n'y a pas eu de blessés... Je conclurai par ces mots à mes chers compatriotes : « Soyez forts ».
Je m'appelle Dzovinar, j'ai 41 ans. J'ai survécu à trois guerres.
Photos : © Anthony MKRTCHYAN | < Préc | Suivant > |
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